Rat Behavior and Biology : Infanticide
(http://www.ratbehavior.org/infanticide.htm)
Auteur original : Anne Hanson (11 août 2005)
Traduction : Cécile Voisin (21 mai 2011)
Correction : Charlotte Dumartin et Estelle Deyrieux
Retouche d'image : Nastasia Garsia Morais
Sommaire |
Résumé
L'infanticide, ou meurtre d'enfant, existe chez plusieurs espèces, dont les rats. Chez les rats, l'animal infanticide peut être la mère, un mâle inconnu, ou une femelle inconnue. Chacun d'entre eux peut commettre un infanticide pour différentes raisons. La plupart des infanticides sont commis sur des ratons nouveaux-nés.
Les mères ont tendance à tuer les bébés difformes ou blessés, ce qui peut leur permettre de garder leurs ressources pour les ratons en bonne santé, ayant plus de chances de survivre. Les mères peuvent aussi tuer des portées entières lorsqu'elles sont stressées, peut-être parce que la mère perçoit son environnement comme trop hostile pour la survie des ratons, ou qu'elle se perçoit elle-même comme incapable d'élever la portée correctement ; elle récupère donc une partie de son investissement énergétique en mangeant les petits. Les mères mal nourries, et les mères vivant une mise bas anormale, peuvent aussi devenir infanticides.
Les rats mâles adultes non-apparentés avec la portée peuvent tuer des jeunes afin que la mère soit de nouveau en œstrus plus tôt et ainsi avoir eux-même une portée. Pour éviter de tuer accidentellement ses propres petits, l'instinct infanticide envers tous les ratons est réduit chez les mâles de 18 à 50 jours après copulation, une durée correspondant approximativement à une période allant de la naissance au sevrage de leur propre progéniture. L'instinct infanticide est aussi réduit lors d'une cohabitation avec une femelle gestante. Une phéromone produite par les femelles gestantes peut supprimer l'instinct infanticide ; l'agressivité maternelle après la naissance peut aussi jouer un rôle dans la prévention de l'instinct infanticide des mâles, bien que son efficacité soit mitigée. Une exposition répétée aux jeunes inhibe aussi l'instinct infanticide chez les mâles, et génère un comportement parental.
Les femelles non-apparentés commettent des infanticides pour gagner une source alimentaire en mangeant la portée, et pour s'emparer du nid de la portée détruite. Comme pour les mâles non-apparentés, l'instinct infanticide chez les femelles non-apparentées peut être réduit par cohabitation avec la femelle gestante et par exposition aux ratons. La parenté et la familiarité joue aussi un rôle : les sœurs gestantes qui ont vécu ensemble depuis la naissance commettent rarement un infanticide envers leurs portées mutuelles, et participent souvent à une éducation coopérative. Par contre, presque la moitié des couples de femelles gestantes non-apparentées qui cohabitent seulement durant leurs gestations expérimentent l'infanticide, et l'éducation coopérative est moins courante.
Qu'est-ce qu'un infanticide ?
Au sens large, l'infanticide est le meurtre de petits de sa propre espèce. Cette pratique est parfois suivie de cannibalisme, qui est le fait de manger tout ou une partie d'un individu de la même espèce (e.g. Zarrow et al. 1972). L'infanticide existe chez plusieurs espèces, comme les humains, les primates, les félins, les canidés, les cétacés, les rongeurs, les insectes et les poissons, et a fait couler beaucoup d'encre (pour plus d'informations, voir Ebensperger 1998, Hausfater et Hardy 1984, Labov et al. 1985, van Schaik et Janson 2000).
Les rats ne sont pas les seuls rongeurs à commettre des infanticides. L'instinct infanticide a été identifié chez plusieurs espèces de rongeurs : les spermophiles de Belding (Sherman 1981), les spermophiles de Californie (Trulio et al. 1986), les lemmings à collier (Mallory and Brooks 1978), les spermophiles de Colombie (Waterman 1984), les hamsters dorés (Marques et Valenstein 1976, Richards 1966), les souris domestiques (McCarthy et vom Saal 1985), les campagnols des prés (Webster et al. 1981), les gerbilles de Mongolie (Elwood 1977), les rats musqués (Errington 1963), les chiens de prairie (Hoogland 1985), les souris à pattes blanches (Wolff 1986), et les marmottes à ventre jaune (Brody et Melcher 1985).
Pourquoi commettre un infanticide ? L'infanticide peut être commis pour de nombreuses raisons. Plusieurs de ces raisons indiquent que l'infanticide dépend du tueur. Les animaux peuvent commettre des infanticides afin de :
- obtenir une ressource alimentaire en mangeant les petits (l'hypothèse de prédation)
- obtenir un accès plus grand aux ressources physiques comme la nourriture, les nids ou l'espace (l'hypothèse de compétition de ressource)
- éviter d'adopter et de fournir des soins aux progénitures non-apparentées (l'hypothèse de refus d'adoption)
- influer sur le ratio sexuel de la portée
- Les mâles adultes peuvent tuer les petits d'une femelle afin d'augmenter leurs propres chances de s'accoupler (l'hypothèse de sélection sexuelle)
- Enfin, l'infanticide peut être neutre ou pathologique et peut être le produit d'une sélection pour une autre sorte de comportement comme l'agressivité, ou être un accident, ou être le résultats de perturbations dans l'environnement physique ou social (voir Ebensperger 1998).
L'infanticide chez les rats
Qui commet l'infanticide ? L'infanticide comporte plusieurs facettes, l'animal infanticide peut être la mère, un mâle inconnu, un père, ou une femelle inconnue. Chacun d'entre eux peut commettre un infanticide pour différentes raisons en différentes circonstances.
Qui est la cible de l'infanticide ? Les ratons nouveaux-nés (âgés de 1 à 3 jours) ont bien plus de risques d'être tués par des adultes que des ratons de 10 à 12 jours, et les ratons sevrés (21 à 25 jours) ne sont quasiment jamais tués (Mayer et Rosenblatt 1980, Paul et Kupferschmidt 1975).
Le meurtre des ratons difformes, malades et faibles et la consommation de ceux déjà morts sont différents du meurtre de progéniture en bonne santé. Pour finir, la consommation d'une portée entière de ratons par la mère peut être différente de l'ingestion d'une partie d'une portée suivie par de bons soins portées à la progéniture restante (DeSantis et Schmaltz 1983).
Description de l'infanticide. Les rats sevrés ont plus de risques d'être tués par une attaque prédatrice. L'adulte bondit sur le jeune rat, la tête de l'adulte bouge de manière répétée vers l'avant et mord le jeune animal sur le dos et le cou, surtout à la base du cou, rompant la moelle épinière (Paul et Kupferschmidt 1975). Cette attaque est identique à celle utilisée par les rats pour tuer des souris.
Les ratons âgés de dix jours sont tués avec une technique différente qui peut être prédatrice ou du genre prendre-et-manger. Parfois ils sont tués par une morsure prédatrice bien dirigée ou un saut-et-morsure avec morsure dirigée sur le dos ou les pattes (et non à la base du cou). Parfois des ratons de dix jours sont attaqués par des morsures alimentaires durant lesquelles l'adulte attrape le raton avec ses dents, le mâche et le broie. Les nouveaux-nés sont simplement mangés. Le rat adulte prend le raton dans ses pattes et le grignote comme si c'était un aliment (Paul et Kupferschmidt 1975)
Ainsi, le meurtre des ratons plus âgés est prédatrice, mais le meurtre de ratons bébés est simplement accompli par alimentation (Paul et Kupferschmidt 1975, Peters et Kristal 1983).
Les ratons nouveaux-nés semblent avoir bon goût pour les rats. Les rats adultes ayant précédemment tué des rats néonatals consomment sans hésiter de grandes quantités d'entre eux (18,5 grammes en deux heures), bien qu'une alimentation normale pour adulte soit présente. Goût, odeur, absence de mouvement et absence de poils peuvent tous jouer un rôle dans ce qui fait d'un nouveau-né un plat appétissant (Paul et Kupferschmidt 1975).
Infanticide par la mère
La majorité des cas de cannibalisme maternel ont lieu lors des premières 24 heures, et le nombre de cas diminue lentement durant la première semaine (Schardein et al. 1978, DeSantis et Schmaltz 1984, Reynolds 1981). Cependant, en de rares cas une mère peut tuer une portée plus vieille (e.g. Babicky et Novakova 1986 ont découvert que certaines mères mal nourries tuent des portées sevrées).
Causes et fonctionnement de l'infanticide maternel
Infanticide de ratons malformés : Les femelles qui donnent naissance à des jeunes difformes vont préférer manger la progéniture difforme que les petits en bonne santé (appelé culling) et vont préférer manger les petits déjà morts (qu'ils soient difformes ou en bonne santé) que ceux vivants (Reynolds 1981).
Schardein et al. (1978) ont découvert que 21 % des petits vivants malformés congénitalement étaient tuées et mangées, contre seulement 3% des progénitures vivantes normales. En ce qui concerne les progénitures mortes-nées, les mères mangeaient 63 % des ratons malformés congénitalement, et 19 % des normaux. Quand la portée entière était vivante et normale, il n'y avait aucun cannibalisme du tout, mais la majorité des portées contenant des ratons malformés ont subis des infanticides. Le choix des ratons cannibalisés était cependant variable : dans un cas, une femelle a tué un raton normal et laissé le malformé, dans un autre cas une femelle a tué une raton malformé mais laissé les autres ayant le même défaut, et dans trois cas la femelle a mangé la totalité de la portée.
Les ratons nouveaux-nés qui sont blessés peuvent aussi être tués (Helander et Bergh 1980). DeSantis et Schmaltz (1984) ont découvert que plus le raton est blessé, plus il a de risques d'être tué par la mère. Les mères continuent ensuite à fournir de bons soins à la progéniture restante.
Le meurtre de progéniture malformée semble adaptatif, étant donné qu'il permet aux femelles d'ajuster la composition finale de leur portée basée sur des conditions environnementales et physiologiques à la naissance. En retirant les ratons ayant moins de chance de survie, la mère peut donner plus de ressources aux ratons restants, augmentant leurs chances de survie, et récupérer par le cannibalisme certaines des ressources allouées aux ratons malformés.
Infanticide causé par le stress : Le stress joue aussi un rôle. Des facteurs physiques comme un bruit excessif, une manipulation brutale, et des nettoyages de cages trop fréquents sont des causes possibles de cannibalisme maternel (Lane-Petter (1968)).
DeSantis et Schmaltz (1984) mentionnent deux cas de cannibalisme de portée entière en réponse au stress : un cas implique une femelle ayant été transportée durant sa gestation, elle a cannibalisé sa portée lors de la naissance. L'autre cas impliquait une femelle dont la cage a été accidentellement inondée par une bouteille d'eau cassée peu après la naissance, trempant la litière et mouillant les ratons. Les ratons ont ensuite été mangés dans les 24 heures.
Infanticide par malnutrition maternelle : Plusieurs études ont examiné l'alimentation et l'infanticide. L'obésité augmente la fréquence d'infanticide et le cannibalisme chez les rats. Wehmer et al. (1979) ont découvert que seulement 48 % des femelles obèses conservant une régime fort en graisse donnaient naissance (contre 100 % des femelles normales), et sur ces mères obèses 55 % cannibalisaient leurs petits durant la première semaine.
Les femelles nourries avec trop peu de protéines (e.g. un régime à 5 ou 6 % de protéines) ont tendance, après avoir donné naissance, à avoir des progénitures à croissance lente qui sont sevrées plus tard que celles des femelles nourries normalement ; certaines de ces mères mal-nourries ont commis des infanticides durant la période de sevrage (Babicky et Novakova 1986). Les femelles nourries avec un régime végétarien avaient beaucoup plus de risques de manger leurs ratons que les femelles ayant un régime omnivore (Carlson et Hoelzel 1948).
Une déficience en vitamine est aussi associée à l'infanticide et au cannibalisme : 39,7 % des femelles ayant une déficience en vitamine B12 cannibalisent leurs portées, contre seulement 20,5 à 23,3 % des femelles dont l'alimentation contient de la vitamine B12 (15 à 30 µg/kg) (Hankin 1960).
Infanticide de ratons d'un sexe : En des conditions de stress, les mères rongeurs qui vivent dans des systèmes sociaux polygames peuvent tuer de manière sélective leur progéniture mâle. Pourquoi ? Parce que dans les systèmes polygames les chances de se reproduire sont très différentes entre les femelles et les mâles. Une femelle a de grandes chances d'avoir une progéniture. Un mâle, cependant, doit devenir socialement dominant afin d'avoir les meilleures chances de féconder les femelles. Ainsi, alors que les femelles peuvent potentiellement produire bien moins de progéniture que les mâles, dans les systèmes polygames la reproduction d'une femelle est presque assurée, mais seulement un petit nombre de mâles deviennent pères.
Une mère dont la gestation a lieu en des conditions de stress (e.g. un manque de nourriture) a des risques de produire une portée de ratons qui donnera des adultes chétifs. Les sœurs chétives ont toujours des chances de se reproduire en grandissant, mais les frères chétifs pourraient ne jamais se reproduire du tout. Ainsi, le fait de tuer ses ratons mâles peut être adaptatif pour une mère stressée.
Le meurtre de mâles par mère stressée se retrouve chez les souris (Rivers et Crawford 1974), les hamsters (Huck et al. 1983), et les néotomas (McClure 1981), mais n'a pas encore été démontré chez les rats bruns.
Noter que les rats bruns peuvent aussi influer sur le ratio sexuel de leurs portées in utero. Par exemple, les rates en gestation juste après la naissance d'une portée (durant l’œstrus post-partum) mais perdant leur portée de nouveaux-nés ont tendance à donner naissance à des portées favorisées en femelles. Si leur portée en cours survit, cependant, la portée conçue post-partum contient un nombre égal de mâles et de femelles (Bacon et McClintock 1994, 1999).
Expérience de naissance anormale : Les femelles qui donnent naissance prématurément (24 heures trop tôt) (Vickery 1979) ou par césarienne (Stern 1985) ont plus de risque de tuer leurs petits que les femelles qui donnent naissance normalement (plus spécifiquement, 21,9 % des mères donnant naissance par césarienne commettent des infanticides, contre aucune de celles mettant bas normalement Stern 1985).
L'infanticide après une césarienne pourrait être dû à la condition moribonde des ratons, beaucoup d'entre eux mourant peu après la mise bas. Aussi, les petits naissant par césarienne sont généralement délivrés au 21ème jour de la gestation, au lieu du 22ème. Ils ont tendance à être plus petits et peuvent ne pas avoir les mêmes capacités sensorielles que des ratons ayant vécu un jour supplémentaire de gestation et une mise bas naturelle (Peters et Kristal 1983).
Une naissance prématurée ou une césarienne peuvent entraîner un infanticide. En effet, le profil hormonal normal, accompagnant un travail entier normal et une délivrance et aidant à générer un comportement maternel, est interrompu. Par exemple, la stimulation du passage des petits par la filière pelvi-génitale peut être un facteur important pouvant déclencher un comportement maternel normal.
Infanticide et âge de la mère : Mohan (1974) a étudié l'infanticide, la taille des portées, et l'âge maternel chez 240 rates. L'auteur a découvert que des mères très jeunes et surtout des mères âgées avaient plus de risques de cannibaliser leur progéniture que les mères d'âge intermédiaire (figure 1). La taille de la portée suit un schéma inverse : les mères très jeunes et surtout très âgées ont tendance à avoir de plus petites portées que celles d'âge intermédiaire (figure2).
Infanticide par adultes non-apparentés
Les rats adultes ne s'étant pas reproduits ne montrent habituellement pas de comportement parental envers les bébés inconnus. Les adultes ont tendance à les approcher prudemment, à les renifler, et à se retirer rapidement. Généralement, les adultes les ignorent (Rosenblatt 1967), mais parfois des femelles adultes (Peters et Kristal 1983), et surtout des mâles adultes attaquent et tuent des nouveaux-nés.
En général, les rats mâles ont plus de risques de tuer des ratons étrangers que les femelles, mais les taux d'infanticide varient selon les lignées et parfois selon le laboratoire dans lequel les rats sont élevés (Brown 1986).
- Les rats mâles Wistar ont tendance à être infanticides alors que les femelles montrent de faibles taux d'infanticide : Jakubowski et Terkel (1985), ont découvert que 76 % de mâles et moins de 10 % des femelles ont tué des ratons. Rosenberg et al. (1971, 1974) ont découvert que 56,7 % à 79,5% des mâles tuaient des nouveaux-nés inconnus, contre 9,8 % de femelles nullipares (femelles n'ayant jamais donné naissance). Fleming et al. (1980) ont découvert que 15,4 % des femelles Wistar étaient infanticides.
- Les rats Long-Evans étaient similaires aux Wistars, avec plus d'infanticides chez les mâles que chez les femelles : la plupart des études n'ont découvert aucun infanticide chez les femelles contre jusqu'à 62 % de mâles infanticides (Miley et al. 1982, Miley et al. 1981, Paul et Kupferschmidt 1975). De même, Brown (1986) a découvert que 91,9 % des mâles et 16,7 % des femelles étaient infanticides. Cependant, Peters et Kristal (1983) ont découvert que 80 % des femelles Long-Evans tuaient des ratons nouveaux-nés et qu'une gestation chez ces femelles supprimait l'instinct infanticide.
- Les rats Sprague-Dawley sont plus variables. Certaines études montrent que, comme avec les rats Wistar et Long-Evans, les mâles sont plus infanticides que les femelles. Bridges (1983) a découvert qu'aucune femelle n'était infanticide contre 53 % des mâles. Cependant, d'autres études ont montré des taux plus élevés d'infanticide chez les femelles : Fleisher et al. (1981) ont découvert que 30% des femelles et 53 % des mâles étaient infanticides (voir aussi Mayer et Rosenblatt 1979). Dans un autre registre, plusieurs études ont montré que l'instinct infanticide est faible chez les mâles et les femelles. Jakubowski et Terkel (1985a) ont découvert que moins de 6% de mâles et de femelles étaient infanticides (voir aussi Mayer et al. 1979).
Les ratons nouveaux-nés (1 à 3 jours) ont plus de risques d'être tués par des adultes que des ratons de 10 à 12 jours, et des rats sevrés (21 à 25 jours) ne sont presque jamais tués (Mayer et Rosenblatt 1980, Paul et Kupferschmidt 1975).
Chez les femelles gestantes, le comportement non-parental est remplacé par un comportement parental lors de la naissance, et les femelles font preuve de comportement maternel comme le fait de lécher, de récupérer les ratons, et de se déplacer autour de la portée en position d'allaitement (Nelson 1995, Peters et al. 1991)
Infanticide par mâles adultes non-apparentés et pères
L'infanticide n'est pas une caractéristique "fixe" chez les mâles. Il est modifié par plusieurs facteurs, comme le taux de testostérone, les effets de portée, ainsi que la copulation et cohabitation avec une femelle gestante.
La présence de testostérone chez les jeunes rats mâles est impliquée dans le comportement infanticide. Les rats mâles castrés lorsqu'ils étaient jeunes ont moins de risques de tuer des ratons nouveaux-nés que des rats entiers (32 % des castrés tuent des nouveaux-nés inconnus, contre 79,5 % des mâles entiers), mais si on leur fait des injections de testostérone leur comportement infanticide ressemble à celui des rats entiers (76 % commettent des infanticides : Rosenberg et al. 1974).
Il semble aussi qu'il y ait un effet de portée dans certains cas. Borwn (1986) a découvert que tous les mâles de certaines portées étaient infanticides alors qu'aucun mâle d'autres portées ne l'était. Ces différences entre portées pourraient être génétiques, ou dues à une influence maternelle, ou bien à des conditions d'élevage post-sevrage (car les portées dans ce laboratoire vivent ensemble même après le sevrage). Une manière d'examiner plus loin cet effet serait de mener des expériences de portée divisée ou de placement de portée séparée.
Pourquoi les rats mâles adultes non-apparentés commettent-ils des infanticides ?
Hardy (1979) a avancé l'idée que les mâles adultes tuent les petits afin que la femelle soit de nouveau en œstrus plus rapidement et de pouvoir ainsi la féconder et engendrer sa propre portée. Aussi, détruire une portée non-apparentée réduit le nombre d'animaux non-matures qui pourraient rivaliser avec la progéniture du tueur pour les ressources. Ainsi, tuer les petits d'autres mâles améliore le succès reproductif d'un mâle (pour plus d'explications sur ce sujet, voir van Schaik et Janson 2000).
Les mâles ont tendance à tuer les portées qui ne sont pas les leurs : Mennella et Moltz (1988) ont logé des mâles sexuellement naïfs avec des femelles gestantes. La plupart des mâles (4 sur 6) ont commis des infanticides après la naissance des ratons. La mère a tenté de défendre ses petits en cachant ses ratons et en mordant et griffant le mâle. Les mères ont échoué et les mâles ont tué et souvent cannibalisé les portées entières. Puis les mâles se sont accouplés avec les femelles.
Chez les rats, cependant, les femelles ont un "œstrus post-partum". Le rythme de cet œstrus dépend à la fois du moment de la journée et du temps écoulé depuis la naissance. Une rate a tendance à être en chaleur le premier soir qui se situe au moins 10 heures après la naissance (Gilbert et al. 1985).
Ainsi, on peut dire qu'un mâle a besoin de détruire la nouvelle portée d'une femelle afin de s'accoupler avec elle et d'engendrer sa propre portée. Cependant, tuer une nouvelle portée peut aussi apporter des bénéfices au mâle en évitant un délai d'implantation à cause de la lactation. Les œufs fertilisés durant un œstrus post-partum ne s'implantent pas tout de suite (Mantalenakis et Ketchel 1966). En tuant une nouvelle portée et en s'accouplant durant l’œstrus post-partum de la femelle, la progéniture est née après la période normale de 21 à 22 jours de gestation.
Mennella et Moltz (1988) ont découvert que les mâles qui détruisaient la portée d'une autre mâle et s'accouplaient avec la femelle durant son œstrus post-partum voyaient la naissance de leurs propres petits 23 jours plus tard. Par contre, les mâles qui laissaient la portée survivre voyaient la naissance de leurs propres petits 32 jours plus tard (+/- 1 jours).
Après l’œstrus post-partum, la femelle n'est plus en chaleurs jusqu'au sevrage. Ainsi, si un mâle manque l’œstrus post-partum il peut avancer le prochain œstrus de la femelle en tuant la portée en cours et en mettant ainsi un terme à la lactation. La femelle entre à nouveau en œstrus dans les 6 jours, le mâle s'accouple avec elle et voit sa portée naître environ 23 jours plus tard. Les mâles qui laissent la progéniture de la femelle tranquille après l’œstrus post-partum, cependant, doivent attendre l’œstrus post-sevrage qui a lieu environ 29 jours après la parturition. Dans ce cas, les mâles doivent attendre 50 jours pour la naissance de leur propre portée (Mennella et Moltz 1988).
Les rats ont une espérance de vie de moins d'un an dans la nature (Davis 1948). Attendre un mois qu'une femelle soit en chaleurs alors qu'elle allaite une portée non-apparentée est donc un mauvais choix stratégique pour un mâle. Il peut augmenter ses chances de se reproduire en détruisant la portée actuelle de la femelle et en engendrant rapidement la sienne.
Inhiber l'infanticide chez les mâles
Un problème avec l'infanticide commis par des mâles adultes est qu'un mâle pourrait tuer sa propre progéniture. Un mâle qui entraîne la conception d'une nouvelle portée en tuant une portée qu'il avait déjà engendré s'est piégé lui-même. Comment font donc les rats mâles pour ne pas tuer leurs propres petits ?
Une possibilité est que le père pourrait reconnaître sa propre progéniture, mais actuellement il y a peu de preuve confirmant ce genre de reconnaissance parentale chez des rats mâles adultes.
Par contre, il semble que l'instinct infanticide chez les rats mâles soit parfois supprimé quand leur propre progéniture est jeune et vulnérable, comme c'est le cas chez les souris mâles (vom Saal 1985). Mennella et Moltz (1988) ont découvert que la copulation réduit le comportement infanticide plusieurs semaines plus tard, à une période correspondant approximativement à la naissance des petits du mâle (voir aussi Brown 1986). Cette inhibition se généralise à tous les ratons : les mâles s'empêchent non seulement de tuer leur propre portée, mais ils ont tendance à ne pas tuer les ratons des autres mâles. L'instinct infanticide revient à un niveau normal environ 50 jours après accouplement, une période correspondant approximativement au sevrage des ratons. Ainsi, l'instinct infanticide du mâle envers les ratons peut être réduit pour un temps lorsque sa propre progéniture est vulnérable. Chose intéressante, il a été suggéré que les femelles pourraient exploiter la suppression d'instinct infanticide induite par copulation en s'accouplant avec plusieurs mâles sur une courte période, les inhibant ainsi tous lorsque les ratons naissent (e.g. les souris, Huck et al. 1982). A ce jour, aucune étude n'a examiné cette possibilité chez les rats.
La cohabitation avec une femelle gestante inhibe aussi l'infanticide. Plus les mâles vivent longtemps avec des femelles durant la gestation, moins les mâles sont infanticides. Cet "effet de cohabitation" n'est pas spécifique à la femelle avec laquelle vit un mâle particulier : le mâle est aussi inhibé pour tuer les petits d'autres femelles inconnues (Mennella et Moltz 1988). Inversement, la cohabitation avec une femelle non-gestante n'a pas d'effet sur l'infanticide (Brown 1986).
Expérience sexuelle et cohabitation combinés inhibent presque complètement l'instinct infanticide chez les mâles connus pour tuer des ratons : après s'être accouplés avec une femelle et avoir vécu avec elle tout au long de sa gestation, lactation et éducation, les mâles étaient présentés à des nouveaux-nés inconnus ; seulement 8,3 % (1 sur 12) ont commis des infanticides. Ce n'est pas un phénomène temporaire : 60 jours plus tard, les mâles ont été testés à nouveau et aucun n'a commis d'infanticide (Brown 1986).
L'effet de cohabitation pourrait être du à un signal chimique émis par la femelle durant sa gestation qui inhibe l'instinct infanticide chez les mâles, car une exposition prolongé à une litière sale de femelle gestante inhibe aussi l'instinct infanticide chez les mâles (Mennella et Moltz 1988, voir aussi 1988b).
La mère peut essayer d'éviter l'infanticide d'un mâle via l'agressivité maternelle. Les souris femelles peuvent "conditionner" le mâle à éviter les ratons lorsqu'ils naissent (Hedricks et Daniels 1981). Dans une expérience sur le comportement parental chez les mâles, il a été découvert que 7 mâles sur 8 qui vivaient avec des femelles allaitantes avaient des cicatrices sur les pattes arrières ou leurs queues, alors qu'aucune femelle n'était blessée (Brown 1986b). Cependant, l'agressivité maternelle peu après la naissance est en général inefficace pour contrecarrer un mâle qui tente de détruite la portée nouvellement née (ex : Mannella et Moltz 1988, Erksine et al. 1978). Aussi, l'agressivité des femelles culmine au 9ème jour après la naissance de la portée (Erskine et al. 1978), alors que la plupart des infanticides ont lieu dans les premiers jours suivant la naissance.
Une exposition répétée aux ratons seuls peut aussi stopper l'instinct infanticide des mâles : les mâles commettant des infanticides qui sont exposés de manière répétés à des ratons adoptifs arrêtent généralement de tuer, et commencent à se comportement de manière parentale [1] (Jakubowski et Terkel 1985b). En fait, après 6 à 7 jours d'exposition, les mâles commencent à présenter des comportement maternels comme faire le nid, lécher les petits et se poser autour d'eux en position d'allaitement (Rosenblatt 1967).
Infanticide par des femelles adultes non-apparentées
Les rates qui n'ont jamais donné naissance (nullipares) peuvent tuer des ratons nouveaux-nés (Peters et al. 1991). Les rates tuent des petits non-apparentés généralement quand elles sont sexuellement inexpérimentées, gestantes, ou après sevrage de leur propre portée, mais rarement lorsqu'elles ont elle-mêmes une jeune portée (Peters et Kristal 1983). D'où le fait que les femelles commettent des infanticides seulement quand la progéniture non-apparentée peut clairement se distinguer de la leur.
Pourquoi les rates adultes non-apparentés commettent elles des infanticides ?
Prédation et vol de nid : L'infanticide peut être bénéfique aux femelles nullipares car elles obtiennent de la nourriture par cannibalisme des petits, et peuvent s'approprier le nid de la portée détruite.
Menella et Moltz (1989) ont permis à des couples non-apparentés composés d'une femelle nullipare et d'une femelle gestante de vivre ensemble pendant 5 à 10 jours avant la naissance de la portée de la femelle gestante. Cinquante cinq pour cent des femelles nullipares ont commis des infanticides peu après la naissance, et presque la totalité des ratons tués a été cannibalisé. Et, dans les trois jours suivant la naissance et la destruction de la portée, les femelles nullipares s'étaient installées dans le nid et avaient déplacé la mère des petits détruits. Les femelles nullipares qui n'ont pas commis d'infanticide n'ont jamais touché au nid de la mère.
Inhiber l'infanticide chez les femelles adultes
Comment empêcher les femelles nullipares de tuer la progéniture des autres ? Comme avec les mâles, une cohabitation avec la femelle gestante réduit l'instinct infanticide chez les femelles nullipares. Les femelles nullipares qui vivent avec des femelles gestantes durant toute la gestation ont moins de risque de commettre un infanticide (9 % le font contre 55 %, voir ci-dessus). De plus, 60 % de ces femelles se comportement maternellement après environ 3,5 jours, léchant, récupérant, et se posant sur les ratons (Mennella et Moltz 1989).
L'exposition aux ratons réduit aussi l'instinct infanticide et entraîne un comportement maternel chez les femelles nullipares : après plusieurs jours (6 à 8 ) d'exposition aux ratons les femelles peuvent commencer à construire un nid, rattraper les ratons et les regrouper en position d'allaitement (Jakubowski et Terkel 1985b, Rosenblatt 1967, Wiesner et Sheard 1933).
Comme avec les mâles, l'"effet de cohabitation" peut être partiellement dû à un signal chimique synthétisé par la mère. Cette phéromone semble inhiber l'instinct infanticide chez les femelles nullipares, et même générer un comportement maternel chez certaines d'entre elles (Mennella et Moltz 1989).
Femelles apparentés et infanticide
La parenté et la familiarité entre les femelles jouent aussi un rôle. Dans une situation d'élevage collectif, dans laquelle les femelles gestantes vivent et élèvent leurs portées ensemble, Schultz et Lore (1993) ont découvert que les sœurs qui ont été élevées ensemble avaient bien moins de risque d'infanticide envers d'autres ratons que les femelles non-apparentées cohabitant juste lors de leur gestation (11 % de couples de sœurs ont commis des infanticides, contre 44 % de couples de femelles non-familières). Dans presque tous les couples apparentés, l'infanticide consistait en une femelle gestante tuant les ratons nouveaux-nés de l'autre femelle avant de donner elle même naissance quelques jours plus tard.
La stratégie des ratons
Les ratons ne sont pas complètement impuissants face à un rat adulte inconnu. Les ratons ont tendance à arrêter de bouger et à faire de plus petits sons quand ils sentent un rat adulte inconnu (Takahashi 1994, Wiedenmayer et Barr 2001). Cette réponse disparaît vers le sevrage (environ au 26ème jour) (Wiedenmayer et Barr 2001) lorsque les rats ont de plus faibles risques d'être tués par des mâles inconnus (e.g. Robitaille et Bovet 1976).
Notes de traduction
- ↑ appelé concaveation en anglais : induction du comportement parental